Après avoir eu un entretien dans une prestigieuse maison de thé parisienne, j’ai enfin obtenu une réponse de leur part aujourd’hui, en milieu d’après-midi. Je pensais que le téléphone qui vibrait près d’un jour après la date butoir fixée lors de l’entretien pour me donner leur avis définitif était un mauvais signe. Il n’en fut rien. Je commence donc à travailler vendredi à Paris au poste de vendeur polyvalent au comptoir. Il me semblait pourtant en repensant à l’entretien qui s’était écoulé jeudi, que mes chances d’obtenir le poste étaient quand même grandement compromises. N’ayant aucune expérience professionnelle, encore moins dans le domaine de la vente, face à un homme particulièrement dynamique prêt à tester ma réelle motivation par des questions auxquelles je n’avais vraiment aucune réponse à apporter, je me suis pourtant senti prêt à me battre, car ce poste me faisait envie. Reste à savoir si cette nouvelle expérience m’aidera à trouver ma voie professionnelle. Je n’espère cependant pas rester à 1.500 € par mois toute ma vie mais je trouve le salaire honorable pour un début de contrat ! A moi maintenant de vendre un service, un produit, l’envie de revenir, une histoire, un sourire, du rêve, de l’exotisme. Je dois aussi avouer que l’idée de revêtir une tenue imposée, signe d’attachement fort à un groupe de personnes, le tout contribuant à l’image de la même maison, me donne envie de trouver ma place au sein des autres.
Comme lorsque je suis parti en Suède, il y a dans mon entourage, des individus qui restent sceptiques à l’idée de prendre une année sabbatique alors que je n’ai toujours aucun autre diplôme que le baccalauréat. Puis, il y a ceux qui trouvent qu’il s’agit d’une bonne idée, forcément enrichissante pour moi dans un sens comme dans un autre. Une chose est sûre, je n’ai plus envie de m’asseoir sur les bancs d’une faculté à écouter des cours qui ne m’intéressent pas, à remplir les effectifs d’une université qui tombe en ruines, à devoir me battre contre une administration et des secrétaires qui ne connaissent jamais l’amabilité. Je n’abandonne pas pour autant l’idée de continuer mes études à l’université de Paris IV Sorbonne afin d’obtenir une licence de commerce international. Je me suis déjà renseigné et les dossiers seront disponibles en avril. Pour ce qui est de mon tout premier vrai travail, je dois dire qu’il alterne entre le très calme et le très bondé, en fonction des vagues de clients arrivant dans la boutique – qui est d’ailleurs située entre l’Arc de Triomphe et le Parc Monceau, dans le très chic huitième arrondissement de Paris. La clientèle est majoritairement à l’image du quartier et n’hésite pas à payer le prix fort pour obtenir le thé le plus cher, quitte à ce qu’elle ne l’aime finalement pas. C’est ainsi que défilent à longueur de journée les sous-totaux de 100, 200, 400, voire 500 euros à régler en caisse. Mais il y a aussi, et fort heureusement, une clientèle plus modeste et souvent plus aimable, qui se rend à la boutique pour retrouver le plaisir d’acheter un simple thé parfumé.
Je ne sais pas encore si je resterais plus longtemps que la durée de mon contrat à ce poste mais je dois dire que c’est loin d’être le pire métier du monde. Le soir venu, je peux même emporter chez moi une partie des pâtisseries et viennoiseries qui n’ont pas été consommées pendant la journée au salon de thé. Ces mêmes journées sont donc bien remplies mais il y a quelqu’un à qui je pense souvent malgré tout ; quelqu’un que je n’ai pas oublié. Même s’il ne m’adresse plus la parole depuis plus d’un mois, je ne l’ai pas effacé. Je voudrais tant connaître à nouveau son étreinte brûlante en ces jours où les feuilles mortes s’accumulent sur les trottoirs des avenues parisiennes et où le vent glacé d’hiver s’engouffre rapidement dans les couloirs du métro. Je reste silencieux, je ne sais pas si je dois te parler, mais mon cœur te reste fidèle. Je t’ai laissé partir tout doucement, sans faire de bruit, à contrecœur, mais je pense que ni toi, ni moi, n’avons mérité ce silence assourdissant entre nous. Récemment on m’a dit que j’étais adorable, attentionné, débordant d’amour mais que j’avais justement trop de choses à offrir. Je commence à croire qu’il s’agit peut-être de la vérité. Alors, avant que mon esprit ne s’évade trop, je m’occupe de mon travail : accueillir, sourire, conseiller, servir, empaqueter, préparer et remercier. Néanmoins, si tu savais ô combien tu manques à ma vie, mais malheureusement tu sembles m’avoir déjà rayé de ta vie comme une honteuse expérience du passé qu’il fallait rapidement effacer.