Il y a encore une décennie, peu d’Européens connaissaient la célèbre marque américaine de café où l’on accompagne sa boisson chaude d’une pâtisserie du pays de l’Oncle Sam, de style muffin, roulé à la cannelle ou encore donut. Aidée par nombre de productions cinématographiques et le flot de touristes revenant des États-Unis, « la sirène verte » – reconnaissable entre mille – a battu quelques coups de nageoire dans l’Atlantique pour profiter d’une demande toujours plus forte, afin de trouver quelques rochers où s’implanter, timidement, en Europe. Et je ne parle pas de la représentation qui trône depuis des années à Copenhague. Par la suite, on assista à une véritable déferlante d’ouvertures en France de ce nouveau concept au pari risqué : vendre un café à emporter à un prix relativement élevé, très souvent autour de 6 euros. La marque est la cible rêvée des écologistes qui critiquent le gaspillage de ressources environnementales face aux nombreux emballages jetables et non-recyclables. Sans oublier certaines machines à café qui, pour des raisons d’hygiène, laissent s’écouler un filet d’eau chaude tout au long de la journée. Et pour finir, les nutritionnistes s’alarment de la facilité à vendre des cafés et des chocolats chauds qui atteignent autant de calories qu’un double cheeseburger. Mais aujourd’hui, la tendance générale veut qu’on ne vende plus un produit, ni même ses ingrédients. En effet, beaucoup reconnaissent que le café y est de piètre qualité, dissimulé derrière un taux record de sucre et de graisse. La « sirène » vend donc son image, un service et rien d’autre. Et c’est tellement « in » d’appeler les gens par leur prénom, de leur donner l’illusion de l’amitié universelle et de faire partie du « clan » de la marque. Comble du paradoxe, tout ceci fonctionne économiquement parlant !
Dans un autre domaine, on pourrait citer le désormais légendaire « Hey guys ! What’s going on ? » lancé à la clientèle d’un tout autre genre de magasin. Une fois de plus, la stratégie marketing fonctionne à la perfection en donnant l’impression au client de faire partie des quelques élus privilégiés, accueillis « personnellement ». Cette semaine, il ne fallait donc pas manquer, sous aucun prétexte, l’ouverture récente d’une marque américaine – une fois encore – de vêtements au 21 Boulevard de Waterloo à Bruxelles. Et comment ne pas en avoir entendu parler ? Tout d’abord, il y eut une immense affiche flottant sur la devanture du magasin pendant un mois. Sans oublier les vendeurs éphèbes, torses nus, qui se dandinèrent au balcon de l’hôtel particulier Wittouck, certes magnifiquement rénové – du moins à l’extérieur – durant une semaine pour attirer l’œil du passant. Les jeunes adolescentes en fleur en mouillaient leur culotte à l’avance et les parents ne pouvaient que se résigner à l’idée de devoir y aller prochainement avec leur progéniture, laquelle leur vantait les mérites incontournables de l’endroit depuis des semaines, grâce aux souvenirs d’un séjour aux États-Unis. Après avoir patienté pendant plus d’une demi-heure sur le trottoir, vous accédez au précieux Graal et pénétrez dans un endroit nommé modestement « flagship store« . Et pourtant, la boutique – si l’on peut encore la nommer comme telle, avec plus de 3.000 mètres carrés – baigne dans une pénombre qui rend difficile la distinction des couleurs des vêtements, une musique assourdissante qui donne rapidement mal à la tête et un parfum enivrant. Ici, à l’image du café, on ne vend pas des vêtements, mais une image, un concept : la marque veut vous rendre beau et sexy, en vendant un bout de rêve américain, si celui-ci existe encore.
Mais pour la première fois, les esprits un peu trop bien-pensants remarqueront un petit détail dérangeant : des peintures d’hommes WASP – white anglosaxon protestants – musclés, en débardeur blanc, à plusieurs endroits, qui rappellent certaines périodes très sombres de l’histoire européenne et notamment les œuvres d’Arno Breker. Mais c’est surtout dans les prix pratiqués, qui trouvent leur origine dans une stratégie marketing risquée, que réside le problème. Les vêtements y sont en effet en moyenne 2 à 3 fois plus chers qu’aux États-Unis ou au Canada. Les jeans à 80 dollars se retrouvent à plus de 120 euros. Le consommateur européen n’étant pas non plus un pigeon complet, le concept commence à ne plus faire vraiment rêver, étant donné qu’il devient aussi plus accessible depuis l’accélération des ouvertures en Europe : Londres, Milan, Copenhague, Paris, Madrid, Bruxelles. Même si le coton et la tenue des vêtements après lavage sont d’une excellente qualité, le charme de cette marque résidait précisément dans son caractère exotique : il fallait aller jusqu’à New York ou Miami pour la trouver. Et si Abercrombie & Fitch – puisqu’il faut bien la nommer – s’essoufflait rapidement en ne trouvant pas réellement sa place sur un marché européen du vêtement déjà saturé ? Il est évidemment très tentant de penser à l’échec de GAP sur le Vieux Continent, avec des prix une nouvelle fois plus élevés en Europe et qui n’a jamais su trouver sa clientèle. Vendre une image plutôt qu’un produit évite-t-il de passer du « the place to be » à « the place to have been » ? Pas si sûr quand on voit que même la « sirène verte » semble peiner aujourd’hui, alors même que l’avenir s’annonce hasardeux pour la « République bananière » qui vient d’ouvrir ses portes à Paris.