Rien ne leur échappe ; les enfants peuvent effectivement être d’une incroyable cruauté envers les autres. A commencer par mes nièces qui jugent que leurs parents sont désormais des « vieux » étant donné qu’ils ont fêté leur 40 ans cette année. Si j’en viens à ce sujet c’est pour mieux te confier que les années collège ont sans doute été les plus dures pour moi. Pas vraiment du point de vue des résultats scolaires mais surtout parce qu’à cette époque de l’adolescence, on se construit en dénigrant l’autre. Ainsi, la moindre différence physique est soulignée avec dureté. Et petit gringalet imberbe à la voix fluette que j’étais à l’époque, je dois avouer que certains n’ont pas été tendres avec moi. Et dire que tout ça s’est déroulé dans l’un des établissements les plus prestigieux du centre-ville de Reims. Pour ne rien arranger et rentrer un peu plus dans le cliché, je n’aimais pas non plus les cours de sport. Avec le recul, je réalise à quel point j’ai été le bouc-émissaire durant quatre années mais aussi la force que j’ai pu développer face à l’adversité. A l’apparition de Facebook vers 2007-2008, j’ai refusé de nombreuses requêtes de la part de garçons et de filles qui me traitaient de pédé il y a encore quelques années, qui me demandaient si j’avais envie de voir leur bite, voire qui osaient vouloir vérifier si j’en avais bien une. Certains en allaient parfois jusqu’aux coups dans les vestiaires avant ou après les heures d’éducation sportive et physique ou me gratifiaient d’un « les vestiaires pour les filles c’est de l’autre côté » sans que le professeur n’intervienne. Charmante époque révolue. Je te rassure tout de suite, j’ai survécu à tout ça avec des années lycée bien plus tranquilles grâce à une progression de la maturité et de la tolérance de mes camarades.
Et malgré le temps qui passe, je me remémore aussi constamment les affectueux « Dumbo » dont on m’affublait pendant toutes ces années. Même si j’avais appris à en faire fi, je reste persuadé que mon manque d’assurance et de confiance en moi face aux garçons trouve, en partie, son origine dans cette différence physique, à savoir celle des oreilles décollées. J’ai longtemps éviter de croiser le regard de la personne en face de moi car j’avais peur qu’elle ne voit que mes oreilles. Même gêne chez le coiffeur avec toujours cette politesse déguisée : on laisse un peu de longueur sur les côtés, non ? Au début des années 2000, j’avais pris rendez-vous chez un ORL à Reims et lui avais posé des questions concernant une otoplastie. Puis l’idée m’était un peu sortie de la tête avec toutes les années passées en Suède et en Belgique. Ajoute également une légère peur de l’anesthésie, du milieu hospitalier mais aussi d’un éventuel raté de l’opération. Désormais au chômage pour quelques mois et en quête de changement et de renouveau dans ma vie, j’ai décidé d’affronter ce frein à mon épanouissement bien que mes véritables amis aient été adorables en me disant qu’ils n’avaient jamais forcément fait particulièrement attention à mes oreilles. Après de multiples consultations à l’hôpital Saint-Antoine avec l’un des meilleurs chirurgiens ORL disponibles sur Paris, j’ai passé quelques jours à l’hôpital Tenon début octobre dans le but de me sentir mieux avec moi-même et de passer un coup d’éponge sur toutes ces années de moqueries qui résonnaient encore aujourd’hui dans ma tête.
L’opération qui se déroule sous anesthésie générale n’est pas douloureuse en soi. Lorsqu’elle se réveille le lendemain, elle est cependant loin d’être anodine. Je ne pensais pas souffrir autant malgré la prise d’antalgiques puissants et j’avoue qu’il est difficile de dormir sur le dos sans pouvoir incliner la tête sur le côté. Tu te retrouves avec un pansement compressif du style œuf de Pâques tout autour de la tête pendant une semaine sans pouvoir te laver les cheveux pendant cette durée. Cet acte chirurgical justifie un arrêt de travail de 2 semaines pour les personnes en activité. La visite post-opératoire est intervenue mi-octobre pour enlever les points de suture et la deuxième visite, hier, a confirmé que cette opération est un succès. Étant donné que je ne fume pas, que je ne bois pas d’alcool et que je n’ai pas de problème de santé, la cicatrisation a été parfaite. Globalement, il faut un temps d’adaptation pour s’habituer à son nouveau visage mais je suis globalement content d’avoir réalisé cette opération afin de casser un schéma répétitif de mauvaise estime de moi. On a tendance à toujours penser que les mots qui sortent de la bouche de jeunes garçons et jeunes filles « ne sont que des mots d’enfants« . Entendre à longueur de semaine que l’on est moche avec de grandes oreilles avait fini par m’en persuader. Je ne sais pas si tu peux imaginer à quel point ces phrases ont eu un impact pendant de nombreuses années – de trop nombreuses années – sur ma façon d’être, de penser et d’agir. Avoir mis un nom sur ces blessures pendant l’été m’a permis de libérer la charge émotionnelle énorme qui restait au fond de moi depuis cette époque. Quant à l’opération, elle a permis de clore définitivement ce chapitre. Maintenant que 2016 arrive à grands pas, j’y vois l’occasion d’avancer au-delà de ce passé douloureux et de repartir sur de nouvelles bases saines à la recherche d’un travail et peut-être de l’amour.