Là où nos parents avaient le plaisir et la joie, pour ne pas dire la jouissance, de s’envoyer en l’air sans se soucier de grand chose, sous l’influence de substances plus ou moins illicites, au beau milieu des années 70, notre génération a été celle du préservatif. Principalement parce qu’entre temps, un « cancer gay » fit son apparition sur la planète, tout droit sorti de nulle part, décimant des dizaines de milliers de personnes sur la planète jusqu’à causer encore aujourd’hui le décès de millions de personnes par an. Le virus de l’immunodéficience humaine, plus connu sous le nom de VIH – HIV chez nos confrères anglophones – continue de faire ses ravages, pendant que la recherche d’un éventuel traitement, curatif ou préventif, patine. Saluons néanmoins les efforts que fournissent, sans relâche, des milliers de chercheurs aux quatre coins de la planète. Il n’en reste pas moins que chaque partenaire reste un contaminant potentiel, et qu’au fil des années, se protéger est devenu un réflexe acquis par la plus grande majorité d’entre nous. Certains choisissent néanmoins le risque. A la fin d’une soirée trop arrosée. En guise de preuve de confiance et d’amour. Par simple déni de l’existence du virus. Abandon de la réalité au cœur d’une dépression. J’ai fait partie de ses personnes qui ont abandonné certains principes auxquels elles avaient toujours cru l’espace d’un instant, cet instant qui aurait pu changer ma vie à jamais. Quatre garçons, de Suède et de France, que j’ai aimés.
Chacun reste maître de sa vie et mesure les risques mais je ne me suis jamais permis de jouer avec la vie des autres. On entend malheureusement beaucoup trop d’histoires extraordinaires qui ont rapidement tourné à la tragédie. Deux garçons. Un couple qui s’aimait. L’un a été infidèle et ne s’est pas protégé. Il s’est contaminé et a, par la même occasion, transmis le virus à son petit ami. Des histoires comme celle-ci, il en existe des dizaines, des centaines, sûrement des milliers. Mon premier amour était parisien, il était beau, il était mien. Il avait lui aussi entendu parler de cette histoire, sauf qu’il y avait tenu la place d’acteur : le second rôle. Je l’ai aimé comme il était, nous avons fait l’amour, nous nous sommes protégés. Je me suis parfois demandé s’il lui arrivait de souffrir de sa condition, d’avoir accordé sa confiance à un homme qui ne la méritait pas, un homme qui faisait rimer petit ami avec tromperie. Je ne pouvais pourtant pas lire dans ses pensées, même si nous dormions l’un contre l’autre et je ne pouvais savoir ce qu’éprouvait son cœur que j’entendais battre. Alors oui, un être humain peut vivre avec le virus de l’immunodéficience humaine, mais aussi avec le syndrome de immunodéficience acquise. Des hommes et des femmes continueront de t’aimer pour ce que tu es. Cependant la vie sera sans doute plus difficile à vivre chaque jour. J’ai recroisé ce garçon récemment à Paris, place de l’Étoile, juste devant l’Arc de Triomphe alors que la nuit tombait sur la capitale française. Nous avons discuté quelques instants. Et à travers son regard et ses paroles, je me suis rappelé que j’avais aimé cet homme et que je le porte toujours dans mon cœur, à ma manière, comme ces quatre autres garçons dont je te parlais.
Parce que l’amour peut être beau en toute circonstance, il peut aussi être plus facile à vivre en se protégeant. Certes, le « feu de l’action » se trouve freiné pour dérouler le précieux morceau de latex, mais lorsque le doute subsiste, quelques minutes de jambes en l’air valent-elles la peine de mettre en danger sa santé et celle de son partenaire, peut-être jusqu’à la fin de sa vie ? On a parfois aussi trop tendance à croire que les trithérapies permettent de mener une vie normale or ce sont des traitements lourds qui causent parfois de sérieux troubles et amènent leur lot d’effets secondaire. Rappelle-toi qu’il suffit d’une seule fois, pour ensuite douter par moments, puis par douter en permanence, se poser « LA » question, effectuer une prise de sang et attendre le verdict final. Cette question je me la suis posée quelques fois. Jusqu’à présent mes tests sont toujours revenus négatifs et je pourrais remercier ces quatre garçons que j’ai aimés et porte toujours dans mon cœur. A vrai dire « remercier » ne serait pas vraiment le mot approprié. Mes résultats de tests témoignent du respect et de l’amour qu’ils m’avaient porté, pour ne pas avoir joué avec ma vie si un doute subsistait sur leur sérologie. Ainsi, si tu n’es pas sûr et certain de ta sérologie ou que tu ne fais que profiter du bon temps, ne joue pas avec ta vie et celle de ton partenaire, protège-toi. Et lorsque tu auras établi une relation de confiance avec quelqu’un, s’il te prend l’envie par un commun accord de ne plus utiliser de préservatifs, n’oublie pas que le risque zéro n’existe nulle part.
Avec l’homme que j’ai tant aimé – que j’aime toujours autant, d’ailleurs, mais autrement – nous n’utilisions pas de préservatifs : ce qui nous protégeait était non seulement la confiance aveugle que nous avions l’un en l’autre, sans avoir même à le demander, mais le fait – sans avoir même à le vérifier – que la « fidélité » (terme tant galvaudé) de chacun découlait de source de l’amour total qu’il avait pour l’autre. Et cela a duré des années. Des années merveilleuses.