Le 14 juillet, comme chaque année, c’était la Fête nationale. De l’Arc de Triomphe à la Tour Eiffel, la Marseillaise a résonné plus d’une fois dans les rues ensoleillées de la capitale. J’appréciais à vélo cette insouciance qui caractérise si singulièrement l’été parisien. Les rues sont vides ou presque. Les places de stationnement ne sont jamais aussi faciles à trouver qu’au mois de juillet. On ne fait que rarement la queue dans les magasins. Les étudiants sont partis rejoindre leur famille en province ou ont pris l’avion pour des destinations plus ou moins lointaines afin de profiter de l’été. Les cours des écoles, collèges et lycées restent désespérément silencieuses. Et pour la troisième année consécutive, la météo s’est montrée relativement clémente et j’ai choisi de m’installer avec des amis sur la pelouse du Champ de Mars afin d’assister au feu d’artifice tiré depuis la Tour Eiffel. La soirée était belle et fraîche, ponctuée de rires et d’une forme de joie de vivre, si spécifique à la France. Une nouvelle fois, il a fallu qu’un illuminé vienne gâcher ces instants de bonheur et de communion nationale, non pas en Île-de-France, mais sur la Côte d’Azur, à Nice. J’avoue ne toujours pas comprendre. Enfant et adolescent, j’ai été élevé avec le goût de la tolérance et du respect des différences. Autrefois, dans mon monde, toujours empli d’une soif de découvertes et de libertés, on ne mourrait pas pour des écrits, ni au restaurant, ni dans une salle de concert, pas plus qu’en discothèque, encore moins un 14 juillet. Comment peut-on croiser le regard de dizaines de personnes qui profitent de la musique ou d’un dîner entre amis, les abattre, souvent à bout portant, décider de leur ôter la vie, de sang froid ? Ou encore prendre le volant, accélérer sans jamais freiner, entendre le choc des centaines de corps que l’on percute et écrase tel une massive boule de bowling dans un jeu de frêles quilles ? Il y avait eu les Je suis Charlie en janvier 2015. Puis les Je suis Paris et Je suis en terrasse en novembre 2015. Ce début d’année 2016 avait connu aussi son lot de Je suis Bruxelles-Orlando-Istanbul-Bagdad. Maintenant, Je suis Nice. Mais le soir du 14 juillet, j’étais fatigué. Oui, Je suis fatigué. De cette haine interminable qui semble infinie. De cette violence inouïe et cette intolérance qui repoussent toujours plus les limites de l’inconcevable.
C’est le moment – relativement ironique – où sort sur les écrans français le troisième volet d’American Nightmare qui met en scène une purge annuelle, dédiée à purifier la société en autorisant les citoyens américains à déverser leur flot de violence sans craindre aucun poursuite judiciaire. Là où le scénario prend justement de plus en plus parti sur l’escalade interminable de cette fureur, j’ai été surpris de voir que ce déchaînement de sang, d’armes à feu et d’armes blanches peut provoquer des rires dans les salles. Comme si la violence était la réponse « naturelle » à la violence, qu’elle soit verbale ou physique. Face aux récents évènements qui se sont produits à Nice – mais pas seulement – je trouve dommage que ne soit pas relayées plus amplement les voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent dans le monde anglophone pour souligner le lien entre guerre contre la terreur et flambée du terrorisme. Le monde n’a jamais été aussi dangereux que depuis les interventions au Moyen-Orient et en Afrique. En France, la seule personne qui avait compris cet enjeu était l’ancien Premier Ministre Dominique de Villepin. L’unique qui avait osé dire non, au nom de la France, à la guerre en Irak, devant l’incompréhension générale du Conseil de Sécurité des Nations Unies à New York. Aujourd’hui, qu’est-il advenu de ces pays où des dictateurs régnaient certes en maîtres incontestés mais assuraient une stabilité relative de leur région en formant un dernier rempart hautement utile contre la diffusion de l’islamisme radical ? Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont choisi la réponse armée, pour déloger Mouammar Kadhafi en Libye, puis pour armer les rebelles syriens avant de se rendre compte du danger de la chute éventuelle du régime de Bachar el-Assad. Magnifique retournement de situation où le président syrien, ennemi à abattre rapidement, est finalement devenu notre meilleur allié dans la guerre contre la terreur de Daesh. Sans oublier la situation catastrophique en Irak où les conséquences des actions de George W. Bush ont enlisé le pays dans un chaos innommable. La guerre en elle-même ne sert à rien. Peut-être tout simplement à écouler des stocks d’armement et à conforter certains pays dans leur rôle néocolonialiste de gendarmes du monde. Plus que jamais, je reste persuadé que la sécurité du monde passe par des politiques d’aides au développement beaucoup plus ambitieuses. Tout l’argent englouti stérilement dans des conflits inutiles devraient être investi massivement pour l’avenir de ces pays. Pour l’éducation de la jeunesse. Pour la construction et l’expansion de l’accès à la santé. Pour le déploiement des énergies renouvelables et l’accès à l’eau potable. Pour une agriculture vivrière respectueuse de l’environnement. Bien loin de ce schéma, la machine de guerre de SarkHollanBush, bien protégés à la Maison Blanche ou à l’Élysée, n’a pas protégé les États-Unis, ni la France. Elle a même mis en danger, le monde et sa population. Il est donc temps de revoir notre politique étrangère, et vite.
Même si chaque jour apporte son lot de nouvelles peu joyeuses, j’ai choisi de m’éloigner volontairement et de plus en plus des médias, surtout de la télévision. On en arrive à une situation ubuesque où les habitants d’un village de 500 âmes ont l’impression d’être au cœur de l’action, de subir la même insécurité et d’affronter les mêmes dangers que les grandes villes de France. Plus loin encore, comment un journaliste et une rédaction ont pu aller jusqu’à interviewer un homme, encore en état de choc sur la Promenade des Anglais, assis à côté de sa femme tout juste décédée et recouverte d’un linceul de coton blanc ? Où est l’humanité ? Où est la décence ? En outre, nos politiques n’ont-ils rien de mieux à faire non plus que de se lancer dans des polémiques stériles ? Peu importe si la Police nationale ou la Police municipale étaient ou n’étaient pas en nombre suffisant sur les lieux. Cette course à la recherche d’un responsable est inutile et ne ramènera malheureusement pas la vie des personnes décédées. Toi qui lis cet article, j’aime à rappeler en ce moment que nous avons plus de chance de mourir dans un crash d’avion et dans un accident de voiture que sous les rafales d’une attaque terroriste. Bien que clairement à contre-courant, je choisis l’optimisme. Face à ce monde que nos politiques ont largement contribué à rendre de plus en plus dangereux, plus que jamais je continuerai de refaire le monde avec mes amis sur la pelouse des Buttes-Chaumont, du Champ de Mars ou sur les bords du Canal Saint-Martin. Sans oublier de visiter avec eux les expositions du Grand Palais, du Louvre, d’Orsay et de Beaubourg. Mais aussi de vibrer en leur compagnie lors de soirées électro ou de concerts à l’opéra. Et parfois d’aller aussi me recueillir, seul, pour admirer la Tour Eiffel vêtue des couleurs du drapeau gay ou de bleu-blanc-rouge en hommage à ces vies fauchées sur l’autel de la terreur. Qu’ils soient Blancs, Noirs, Asiatiques, Arabes, Latinos, hommes ou femmes, hétéros ou gays, Chrétiens, Musulmans, Juifs ou athées, j’aime mes amis pour leurs sourires, leurs larmes, leurs paradoxes, leurs défauts et leurs qualités. Vivre avec eux le moment présent comme si tout pouvait finir si rapidement. Vivre avec le sourire, regarder le feu d’artifice et profiter pleinement. Aimer la vie et le monde. Heureux et Libre. Comme le 14 juillet 2016. Comme aujourd’hui finalement.
Sûrement (pour moi) un des plus beaux articles que tu aies pu écrire, ta vision des choses force le respect et pousse à la réflexion… Merci à toi.