Il existe des nuits où le temps semble paraître une éternité. Des longues nuits où toutes nos pensées convergent vers un être que l’on a aimé, que l’on aime et que l’on aimera toujours. Des nuits interminables où l’on réalise combien la vie est courte et fragile. Surtout quand elle ne tient plus qu’à quelques heures, quelques jours tout au plus. Je viens d’en faire à nouveau la douloureuse expérience. Il est surtout difficile de réaliser qu’un homme qui a toujours veillé à entretenir une forme physique extraordinaire, même à plus de 70 ans, puisse être terrassé si rapidement par la maladie. Ce mal qui réussit à venir à bout d’une vie en l’espace de trois mois à peine est celui que l’on appelle le cancer. Trois mois où il a fallu lutter, subir des traitements et des examens lourds qui n’ont finalement rien donné. Des semaines où tes proches et tes amis pensent à toi, même s’il est parfois difficile de ne pas avoir la force morale de venir à tes côtés. Quand arrive le jour fatidique où les médecins apprennent une terrible nouvelle, celle à laquelle la famille a refusé de penser durant ces quelques mois, celle qu’elle doit affronter uniquement lorsque l’inévitable se heurte à ses yeux. Ce combat contre la maladie est perdu certes, mais tes proches n’oublieront jamais quel homme tu as été, tant pour ta femme que pour ton entourage, dont je fais partie. J’étais, je suis et demeurerai le filleul d’un homme formidable qui a toujours défendu les valeurs auxquelles il croyait et qui a contribué à faire de moi la personne que je suis aujourd’hui et ce, malgré cette fin de vie tragique. Ce n’est heureusement pas cette fin que je retiendrai de toi.
Toi, c’est Aristide. Toi, tu es cet homme dont je parle aujourd’hui et que j’ai appris à appeler « Parrain » au tout début de ma vie. Tu es né en Martinique le 31 août 1939, sur ce merveilleux petit bout de France, situé dans la douceur tropicale des Antilles, de l’autre côté de l’Océan Atlantique. Tu as fait ton petit bout de chemin grâce à une carrière dans l’armée où tu as atteint le grade d’adjudant-chef, puis à la Poste, alors que je n’existais pas encore. Et un jour, tu as été choisi par mes parents pour être la personne qui veillerait sur moi en cas de malheur. Ma mère a même puisé son inspiration en toi pour me nommer. Et pendant près de 24 ans, tu as rempli à merveille ce travail de longue haleine que confère le rôle de « parrain ». Tu n’as jamais manqué un anniversaire, ni une fête de Noël ou tout simplement une occasion pour démontrer les nombreuses qualités humaines que tu avais. Ta gentillesse, ta générosité, ton optimisme permanent et surtout cette douceur créole qui émanait de toi de manière quasi continue ne seront jamais oubliés. Pas plus que ta voix, que ton sourire et que ton rire communicatif. Ni même ta passion pour le tennis – sport que nous avons pratiqué ensemble lorsque j’étais encore lycéen – et plus particulièrement le tournoi de Roland Garros que tu m’as fait découvrir et apprécier. Plus récemment, tu t’épanouissais dans un autre sport que tu adorais : le golf. Mais aussi et surtout, je n’oublierai pas ces fabuleuses vacances passées en ta compagnie durant l’été de l’an 2000, où tu m’as fait découvrir l’île dont tu es originaire et ce, comme nulle autre personne n’aurait pu le faire. Tu m’as vraiment donné tout ce qu’un parrain peut offrir et tout ce qu’un filleul peut espérer recevoir : de l’amour et de l’attention.
Tu m’as fait particulièrement rire en me disant qu’un trigonocéphale risquait de surgir à tout moment des champs de canne à sucre alors que je devais soulager une envie pressante. Tu as été là pour m’inviter à déjeuner quand j’étais collégien ou encore plus récemment à participer à des barbecues estivaux. Tu n’as jamais manqué l’occasion de faire zouker une soirée d’anniversaire, de Nouvel An ou de retraite durant toutes ces années. C’est encore toi qui était là pour me soutenir et me réconforter lors du décès de ma grand-mère maternelle que tu connaissais si bien. La vie a pourtant décidé que nos chemins devaient se séparer ce jeudi 28 juillet à minuit passé de douze minutes. C’est avec le cœur lourd et les yeux remplis de larmes qu’il faut accepter la réalité. Cependant, c’est aussi avec un flot de fabuleux souvenirs que je trouve aujourd’hui la force de sourire en pensant à tous ces heureux moments que nous avons partagés. Les derniers mots que je t’ai adressés n’ont été que des mots mis bout à bout et envoyés de l’étranger mais je sais que recevoir ces quelques phrases t’a empli le cœur d’une profonde émotion. Le soleil s’est couché sur le rocher du Diamant comme chaque soir en Martinique. Le diamant que tu étais à mes yeux a cessé de briller. Mais je me plais à imaginer que tu as rejoint le monde des anges, aux côtés de mes deux grands-mères, et qu’à vous trois, vous veillez sur moi et sur les gens que vous aimez, où que vous soyez. Je suis fier d’avoir été ton filleul mais aussi et surtout de porter ton prénom ; je ne pouvais rêver de parrain plus extraordinaire. Je pense très fort à toi, je ne t’oublierai pas, ni tout ce que tu as fait pour moi.