Il est des évènements qui surviennent bien souvent aux mêmes périodes. Lorsque le printemps et l’automne pointent le bout de leur nez ; lorsque les bourgeons gorgés de sève éclosent et quelques mois plus tard lorsque les feuilles roussies par le soleil de toute la chaleur estivale, finissent par se détacher des arbres. L’être humain peut se préparer dignement à la perte d’un de ses proches quand les diagnostics médicaux et les avis familiaux se rejoignent. Pourtant, quand ce moment fatidique arrive, il est difficile d’accepter la dure réalité qui se heurte à notre quotidien par une fraîche soirée dominicale d’un 19 septembre. Pourquoi la vie est-elle faite de moments si heureux mais d’instants aussi difficiles à surmonter ? On essaye alors de trouver tant bien que mal un coupable, quelqu’un de responsable, tout en se demandant : Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette personne ? Aucune réponse ne peut pourtant être apportée à ces questions. Les croyances religieuses apporteront sans doute un peu de réconfort aux personnes endeuillées. Les athées se trouveront face un afflux de questions existentielles. 88 ans est un bel âge pour décider de s’endormir non pas pour une sieste, ni même pour une nuit, mais dans un sommeil éternel. Encore plus belle est cette fin, après des années passées à lutter en vain contre un mal qui a détruit peu à peu vos souvenirs et votre mémoire, petit à petit, lentement, mais sûrement. Au point de ne plus reconnaître vos petits-enfants, ni même vos propres enfants. La peine se mélange curieusement à un sentiment de soulagement.
Les dernières années et un dernier battement de cœur ; ce n’est pas ce que l’on retient de la vie d’une personne. Encore moins quand cette « personne » est une de tes grands-mères et surtout ton dernier grand-parent. Bien qu’un vide existe désormais d’une certaine manière, il reste des souvenirs, des évènements et des détails, que même la mémoire d’un très jeune garçon à l’époque a réussi à fixer dans son esprit pour longtemps. Je n’étais pas aussi proche de ma grand-mère paternelle que j’ai pu l’être de ma grand-mère maternelle, mais la tristesse envahit mes pensées depuis quelques jours déjà. Il est difficile de coucher par écrit tous les sentiments éprouvés à l’instant précis où j’écris ces quelques lignes. Qu’advient-on une fois que la vie s’est arrêtée ? Je me plais à penser que mes grands-mères veillent désormais sur moi, chacune à leur manière, et qu’elles ont pu trouver un repos éternel. Deux anges qui se promènent quelque part, sous la forme d’une étoile ou d’un nuage dans le ciel, qui peuvent aussi se matérialiser dans le rire d’un nouveau-né que je peux croiser dans mon quotidien. Elles vivent probablement dans un endroit paisible où le mal et la souffrance n’existent plus, où les craintes sont dissipées et où elles peuvent garder de temps à autre un œil sur moi pendant mon sommeil et sur les personnes qu’elles aiment. Ce soir, il me suffit de fermer les yeux quelques secondes pour revoir leur visage et leur sourire. Elles ont eu des vies ordinaires comme beaucoup d’entre nous, mais elles étaient et resteront dans mon cœur et à mes yeux des femmes extraordinaires.
Il est bouleversant de voir à quel point ces deux pertes ont modifié profondément beaucoup de choses dans ma vision de la vie et me rapprochent aussi énormément de ma famille. Par exemple, je pense ne plus rester très longtemps à Bruxelles, juste encore pour quelques mois le temps de réussir ma dernière année d’études, pour me rapprocher de ceux que j’aime. Je m’en veux assez souvent de ne pas voir mes parents et ma famille aussi souvent que je le voudrais. Je n’ai surtout pas envie de devenir le fils, l’oncle, ou le cousin que l’on ne voit qu’une fois par an à Noël. J’aime ma famille plus que tout autre chose au monde. Elle n’est certes pas très grande et s’est réduite rapidement à peau de chagrin en l’espace de deux ans, mais j’ai bien l’intention de profiter pleinement des membres qui la composent. Beaucoup de gens oublient trop rapidement d’où ils viennent et que leur famille, bien loin d’être une source de problèmes ou de conflits, s’avère être une épaule sur laquelle il est bon de se reposer pour faire face aux difficultés et obstacles que la vie peut placer sur notre chemin. Et bien entendu pour partager les moments de joie et de bonheur. En grandissant, on prend malheureusement conscience que rien n’est éternel, mais qu’y a-t-il à faire aujourd’hui à part prendre le temps de faire son deuil et d’apprendre petit à petit à profiter à nouveau de la vie ? Mes grands-mères n’aimeraient sans doute pas me voir triste, mais il me faudra un peu de temps pour parvenir à surmonter ce chagrin. Je pense à toi Rolande. Je pense à toi Marguerite. J’aurais toujours une pensée pour chacune d’entre vous, d’une façon ou d’une autre. Je ne vous oublierai pas.