La neige n’est toujours pas tombée sur la sombre Suède et le temps libre des étudiants internationaux leur offre des heures propices à la fête, aux voyages, à la découverte du monde, aux échanges verbaux – qui tournent parfois aux contacts physiques. Je ferme les yeux sur cet Italien qui s’est enfermé pendant une quinzaine de minutes avec une Allemande dans les toilettes samedi soir dernier. Tout le monde sait qu’ils ont parlé architecture ou bien encore qu’ils ont pu jouer aux échecs. Ne soyons pas mauvaise langue à ce point même si cette dernière a fini la soirée la tête dans la cuvette des toilettes, ironie du sort ou pur hasard ? Quelques jours plus tard, il faut remonter le moral à une étudiante française qui vient de se rendre compte que le suédois avec qui elle avait commencé une relation, est en fait un mec libertin qui occupe l’espace libre de son lit avec une fille différente chaque jour de la semaine en plus de sa copine dite « officielle ». Les Suédois seraient-ils plus libérés que les Français ; à savoir peut-on réellement coucher avec ses amis ? En Suède, la réponse serait plutôt oui. Le problème français de l’amitié masculine homosexuelle ou l’amitié hétérosexuelle entre un homme et une femme ne semble pas se poser en Suède. Vous êtes amis, vous êtes attirés l’un par l’autre ? Et bien couchez ensemble, ça ne pose pas de problème et surtout pas au petit ami ou à la copine de l’intéressé(e). Il semble qu’on en arrive à mettre les pieds dans un sujet sensible.
A vrai dire nous en arrivons au douloureux problème français. Pour être amis, il faut une barrière de sexualité différente ou de physique repoussant. Si cette fille est ton amie, n’est-ce pas justement parce que tu es gay et que jamais elle ne pourra se glisser dans ton lit sauf en tout bien tout honneur ? Et ton ami n’a-t-il pas ce statut justement parce qu’il ne correspond pas au genre d’hommes que tu recherches ? Ce sujet pourtant très souvent tabou dans les relations amicales mériterait néanmoins d’être développé. Nous connaissons tous l’histoire du beau parleur, qui ne se dit pas attiré par toi, qui ne cherche qu’à devenir ton ami et qui finalement essaie à tort et à travers de t’embrasser une fois qu’il a descendu un petit verre de vodka de trop. Le pays d’Absolut Vodka ne semble pas connaître ce problème même si les Suédois sont un peuple grandement timide, très peu démonstratif au niveau des sentiments et qui ne comprend pas si facilement l’ironie. Point de couples qui se tiennent la main, point de gens qui s’embrassent à ne plus pouvoir respirer : la Suède semble être un pays où le froid n’encourage pas au contact humain ou bien tout simplement au contact physique. Le hug – sorte d’accolade – en est d’ailleurs le triste exemple face à la bise à la française, considérée comme malpolie étant donné sa pratique « très intime » voire carrément érotique. Oui, tu as bien lu. D’un point de vue suédois, les Français seraient presque à deux doigts de copuler dans la rue sur un banc public.
Excepté lors des matchs de hockey sur glace où les Suédois deviennent un peuple subitement sanguin, parler d’accueil chaleureux et d’accolades amicales relève de l’utopie si l’on oublie d’y ajouter l’ingrédient miracle indispensable à la désinhibition suédoise : l’alcool. Introuvable dans un supermarché traditionnel et uniquement vendu dans des magasins gérés par un monopole d’État appelés Systembolaget où 20 ans sont requis même pour acheter une piquette en cubi de 3L provenant de la vallée du Rhin vendue à un prix exorbitant. Bref le Suédois boit surtout de la bière – enfin beaucoup de bière – étant donné que 3, 5 ou 7 % d’alcool ne risquent pas de saouler rapidement. La descente est rapide, les cannettes s’accumulent sur les tables et la joie suédoise sort enfin des corps tristes et déprimés par l’obscurité quasiment continue de cette fin d’année et le froid ambiant. Problème est que les Suédois(es) boivent pour être saouls contrairement à la définition française du « buvez avec modération ». Résultat, les soirées sont entrecoupées d’épisodes peu glorieux où quelques suédoises n’arrivent plus à marcher toutes seules, où des suédois ouvrent leur braguette tant bien que mal et urinent un peu partout parce que la queue aux toilettes est bien trop longue pour eux ; les 5 L de bière descendus auparavant doivent bien trouver une sortie tôt ou tard. Et certain(e)s peuvent être pris d’une soudaine envie de vomir et arrivent tant bien que mal jusqu’à la cuvette des toilettes en courant ; fort heureusement ils ont réussi à épargner tes chaussures en doublant la queue monstre qui s’était constituée pour accéder aux toilettes quelques instants plus tôt. Une fois l’alcool ingéré, le suédois devient donc un être chaleureux qui te parle et t’enlace même s’il ne t’a jamais vu auparavant et la suédoise s’agrippe à toi tout en te marchant sur les pieds, ne sachant plus si elle réside toujours sur Terre ou si elle est déjà en partance vers Glouglouland où elle fera des beaux rêves jusqu’à la gueule de bois qui l’attend le lendemain matin quand elle se réveillera. Et tout ça pour mieux recommencer la même chose vendredi prochain.